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Orpaillage dans le Sud-Ouest du Burkina Faso : la sécurité alimentaire sacrifiée sur l’autel de l’or ?

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L’orpaillage est l’un des plus grands pourvoyeurs d’emplois au Burkina Faso avec plus d’un million de personnes, selon les chiffres du ministère en charge des Mines. Le pays dénombrait 400 sites en 2017 dont 60% se retrouvent dans la région du Sud-Ouest. Cependant, cette activité se mène, pour la plupart des cas, au mépris des textes en la matière. Un business “lucratif” qui pousse les paysans du sud-ouest du Burkina, région arrosée avec des terres fertiles, à céder leurs terres cultivables aux chercheurs d’or.

Ditonté Da est un riche propriétaire foncier de la commune de Gbomblora. La soixantaine révolue, veuf, il a cédé des dizaines d’hectares de ses terres aux orpailleurs. S’il reconnaît l’avoir fait volontairement pour certaines, il dénonce cependant l’attitude de certains orpailleurs qui vont souvent au-delà de l’espace qui leur a été cédé. « Je n’ai pas la chance d’avoir un fils et avec la vieillesse, je ne suis pas capable d’exploiter tout mon domaine. J’ai donc cédé une partie pour l’exploitation minière et en retour, j’obtiens des compensations. Mais le problème est qu’il arrive que des orpailleurs ne respectent pas les contrats de départ », raconte-t-il dépité.

 « On peut se lever un matin et trouver que quelqu’un est en train de creuser des trous sur notre terrain. Souvent même, l’orpailleur est sur le site pendant des mois sans que le propriétaire du terrain ne soit informé et ce, sans autorisation d’exploitation également », renchérit Tiduonté Da, propriétaire terrien sur le site d’or de Korgo, à environ 18 kilomètres de Gaoua, qui avoue la difficulté de maîtriser les orpailleurs. Il note que quelquefois, c’est lorsque le monde se rue vers le site que le propriétaire terrien s’en rend compte et entreprend maintenant des négociations pour un contrat d’exploitation. 

Selon le secrétaire général de la Chambre régionale d’agriculture du Sud-Ouest (CRA-Sud-Ouest), Gaililou Sibalo, l’orpaillage a des conséquences néfastes sur l’environnement. Les impacts environnementaux sont liés notamment à la déforestation avec la coupure des arbres, les troncs étant utilisés pour étayer les galeries. 

Cette déforestation a, entre autres conséquences, la perte du couvert végétal, la dégradation physique des sols. « La dégradation physique des sols les rend peu appropriés à la production agricole et au pâturage au regard du retournement de la terre arable rendant les couches accessibles aux racines des cultures très pauvres en nutriments. La création de trous parfois profonds et de galeries réduit les superficies exploitables », note le secrétaire général de la CRA. 

50% des sites sont sur des terres cultivables

La Chambre poursuit, en soulignant que cette dégradation des terres est, pour la majorité des cas, définitive puisque la réhabilitation n’est généralement pas faite, même pour les sites ayant une autorisation d’exploitation. En 2019, la Direction générale du cadastre minier et de l’information minière dénombrait plus de 71 sites dans la région du Sud-Ouest. Le directeur régional en charge de l’agriculture dans le Sud-Ouest, Sansan Jules Benoît Dah, fait savoir que moins de 8% de ces sites sont formalisés. Pour lui, les conséquences sur le secteur agro-sylvo-pastoral sont indéniables puisque plus de 50% des sites sont sur des terres cultivables (l’une des particularités des sols de la région est que même les collines sont favorables à la production des arbres fruitiers). 

« Cette situation impacte sans doute sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la région », soutient-il. Bien que sa direction ne dispose pas d’étude sur le phénomène, Sansan Jules Benoît Dah reconnaît que l’orpaillage contribue à la baisse des productions agricoles du fait du caractère extensif des systèmes de production agricole. « La réduction de la production agricole a pour conséquence la réduction de l’offre alimentaire qui peut avoir pour corollaire la flambée des prix des produits agricoles. La flambée des prix des produits agricoles contribue, à son tour, à l’accroissement de la vulnérabilité des ménages à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle », illustre le directeur régional en charge de l’agriculture. 

Samy Kambiré est cultivateur dans le village de Loto, à une dizaine de kilomètres de Diébougou. Il a vendu des dizaines d’hectares de ses terres à contrecœur. « On y produisait du mil et du maïs avec suffisamment de récoltes qui nous nourrissait jusqu’à la saison nouvelle. Mais un beau jour, on a constaté une forte présence d’orpailleurs sur nos terres soi-disant qu’ils ont une autorisation d’exploiter. On n’avait pas d’autre choix que de morceler et vendre chaque portion à 50 000 mille francs », confie M. Kambiré. Aujourd’hui, poursuit-il, « on a besoin des terres pour cultiver mais on en a plus et l’argent aussi est fini ». 

Le décret de 2018 portant, organisation des exploitations artisanales et semi-mécanisées de l’or et des autres substances précieuses charge l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS) des formalités relatives aux activités d’exploitation minières artisanales, notamment l’autorisation d’exploitation. Il précise que toute personne désireuse d’entreprendre une activité liée à l’exploitation artisanale de l’or, doit être détentrice d’une carte d’artisan minier délivrée par l’ANEEMAS. En son article 9, le décret autorise l’ANEEMAS à concéder de façon temporaire certaines activités de gestion des sites non couvertes par une autorisation d’exploitation à des personnes physiques sur la base d’une convention. 

Adama Sawadogo est exploitant artisanal d’or depuis 2006. Cet ancien agriculteur dans la province du Yatenga s’est reconverti en orpailleur. Pendant la saison pluvieuse où l’exploitation artisanale de l’or est suspendue dans la région, lui et ses collègues passent la plupart de leur temps à se tourner les pouces au marché du site de Korgo. Il explique leur démarche : « Nous travaillons de façon informelle. Nous faisons le tour de la brousse et quand nous tombons sur un terrain riche en or, nous cherchons à rencontrer le propriétaire. Ce dernier va nous indiquer ses conditions et nous montrer les limites à exploiter. Si il arrive que nous souhaitons aller au-delà de ses limites, nous prenons attache une fois de plus avec lui ». Même s’il reconnaît que certains exploitants ont des autorisations, Adama note cependant que d’autres n’en possèdent pas.

De l’insouciance des propriétaires terriens

A ce sujet, le président de l’Union nationale des associations d’artisans miniers du Burkina (UNAAMB), Mamadou Sawadogo : « Je peux vous assurer que dans la région du Sud-Ouest, les sites qui possèdent des autorisations sont moindres. Dans la province du Poni, ils ne dépassent pas trois ou quatre ». Lui qui a une trentaine d’expérience dans l’orpaillage impute cette situation à l’absence de collaboration entre les sociétés détentrices de permis de recherche et les exploitants. Mamadou Sawadogo explique que la demande d’une autorisation d’exploitation sur une superficie couverte par un permis de recherche est soumise à l’avis du détenteur du permis. Et dans la plupart des cas, ces derniers ne donnent pas leur accord parce que dès que l’espace est envahi par les orpailleurs, il leur est difficile de le récupérer pour une exploitation industrielle ou semi-mécanisée. 

Cet état de fait est relevé également par la Cour des comptes dans son rapport d’audit de conformité des permis de recherche. La Cour mentionne la difficulté des détenteurs de permis à accéder à leurs sites occupés par les orpailleurs souvent avec l’autorisation de l’ANEEMAS. Elle explique cette situation par l’absence de synergie d’actions entre l’ANEEMAS et la Direction générale du cadastre minier. Au niveau de l’ANEEMAS, l’on explique la non-application des textes par diverses raisons. Il s’agit, selon le Directeur général de l’agence, Jacob Ouédraogo, de l’ignorance et du taux élevé d’analphabétisme des acteurs, du faible accompagnement de l’Etat et de la faible déconcentration de sa structure. A celles-ci s’ajoutent l’adhésion insuffisante des artisans miniers à la vision de l’administration minière, l’inadéquation de certains textes, la difficile collaboration des forces de défense et de sécurité, l’insuffisance de synergie d’actions entre les différents acteurs intervenant dans l’exploitation artisanale de l’or. En outre, il soutient que son agence mène des actions de formation sur les bonnes pratiques d’exploitation artisanale de l’or mais aussi de collecte des cautions de réhabilitation. 

En dehors des dysfonctionnements dans l’application des textes, le président de l’UNAAMB dénonce le comportement de certains propriétaires terriens qui « se moquent » du sort de leurs terres après l’exploitation. « De nos jours, quand il y a une découverte d’or, ce sont les propriétaires terriens qui veulent s’approprier la gestion des sites tout en ignorant les conséquences. Ils ne cherchent pas à savoir si les exploitants ont une autorisation ou pas, mais c’est l’argent qui les intéresse », martèle-t-il. Dans ces conditions, lance Mamadou Sawadogo, il est difficile d’avoir une exploitation responsable et c’est l’environnement qui en paye le lourd tribut avec la dégradation des sols et la pollution des terres. 

Selon le directeur régional en charge de l’agriculture, la pollution des sols et des eaux est due à l’usage du mercure et du cyanure sur les sites d’orpaillage. Et cette pollution a des conséquences sur la qualité sanitaire des produits agro-pastoraux du fait de l’usage des sols et des eaux polluées dans la production agricole et pastorale. Mais M. Dah rassure que sa direction sensibilise les producteurs/propriétaires terriens aux conséquences de l’orpaillage sur les terres cultivables, héritage à léguer à leurs progénitures. 

Tout compte fait, le décret portant organisation et exploitation artisanale de l’or indique en son article 30 que « les sites d’exploitations minières artisanales et semi-mécanisées doivent être réhabilitées pendant et/ou en fin d’exploitation ». Le document concède la réhabilitation, entre autres, au détenteur de l’autorisation d’exploitation et au titulaire de la convention de gestion des sites miniers artisanaux. A ceux-ci, s’ajoute l’ANEEMAS pour ce qui est des sites abandonnés.

 « Sans terres cultivables … »

Un décret présidentiel en date du 1er février 2017 crée d’ailleurs un « Fonds de réhabilitation, de sécurisation des sites miniers artisanaux et de lutte contre l’usage des produits chimiques ». Parmi les dépenses couvertes par ce fonds figurent celles liées aux « travaux de fermeture et de réhabilitation des sites d’exploitation artisanale en fin d’exploitation ou abandonnés ». Selon la clé de répartition définie par le décret interministériel n°2019-553/MEEVCC/MMC/MINEFID/MESCU du 30 octobre 2019, 60% du Fonds sont réservés à ces travaux.

Mais qu’en est-il sur le terrain ? « Il n’y a pas de réhabilitation après l’exploitation. Le problème c’est qu’après l’exploitation, on ne trouve personne même pour lui parler de réhabilitation », se désole le propriétaire terrien Tiduonté Da. Son avis est partagé par Mamadou Sawadogo de l’UNAAMB qui estime que l’absence d’autorisations pour les sites ne permet pas de situer la responsabilité pour la réhabilitation. Abondant dans le même sens, Titonté Da soutient qu’après le passage des exploitants artisanaux, l’espace devient impraticable pour l’agriculture. « Les orpailleurs regardent seulement leur gain mais pas la destruction qu’ils font subir à nos sols. Pourtant, sans terres cultivables, nous n’aurons pas de quoi nourrir nos familles. L’argent qui nous est reversé par les orpailleurs ne suffit pas pour nos besoins », étaye-t-il. 

Dans les contrats des exploitants avec les propriétaires, il ressort notamment que ces derniers perçoivent entre 50 000 et 100 000 FCFA sur chaque trou creusé. En sus, ils récupèrent au moins un sur dix sacs de minerais extraits. Adama Sawadogo avoue que la réhabilitation des sites est le dernier de leurs soucis. Sur la Route nationale 12 (RN12), de Gaoua à Batié en passant par Gbomblora, les sites d’orpaillage abandonnés sont légion. « Après notre départ d’un site, c’est la pluie qui ferme les trous à notre place. Il arrive aussi que nous fermons des trous, les moins profonds », nuance celui qui dit avoir roulé sa bosse dans la majorité des sites d’orpaillage autour de Gbomblora. 

Sur la question de réhabilitation, la réponse du DG de l’ANEEMAS est claire : « À ce jour, nous ne disposons pas d’exemples de réhabilitation au Burkina Faso. Par contre, nous disposons d’un cadre administratif et des techniciens habilités ». Jacob Ouédraogo justifie cette action par le manque de ressources financières, des difficultés pour effectuer l’inventaire des sites abandonnés ou en fin d’exploitation, la non-opérationnalisation du Fonds de réhabilitation. 

Les populations de la région appellent de tout leur vœu à une meilleure organisation des sites d’orpaillage afin de préserver leurs terres. Pour Tiduonté Da, l’activité de l’orpaillage nourrit des millions de personnes. Les conséquences de son interdiction seront donc très nombreuses. « Nous n’avons pas le choix, nous devons vivre avec. Cependant, nous appelons l’autorité à mener des sensibilisations et des actions pour réhabiliter les sites après l’exploitation », plaide le propriétaire terrien. Exploitant agricole à Loto, Guékouma Dabiré explique qu’il y a des parties que les orpailleurs ont abandonnées pour se diriger vers d’autres localités à la recherche de l’or. Nous y avons cultivé, dit-il, mais les plants peinaient à grandir contrairement au terrain où aucune activité d’orpaillage n’a été faite. « En réalité, on cultive malgré nous sinon on ne gagne pas grand-chose, c’est comme si l’orpaillage a pris toute la fertilité de nos terres », avoue M. Dabiré. 

Au sein de la faîtière des associations des artisans miniers, des réflexions sont menées, aux dires de Mamadou Sawadogo, en vue de mettre en place un projet qui va permettre de réhabiliter les sites en fin d’exploitation. La CRA-sud-ouest recommande, pour sa part, l’application vigoureuse des textes sur la protection de l’environnement, la sensibilisation des agents miniers et leurs organisations sur les bonnes pratiques en matière d’exploitation de l’or mais aussi la réalisation d’une étude d’évaluation des pertes de terres causées par l’activité. L’ANEEMAS suggère, quant à elle, l’organisation des artisans en coopérative afin de faciliter l’accompagnement de l’Etat. 

Jacob Ouédraogo invite également l’Etat à créer des couloirs ou des zones spécifiquement dédiées aux exploitants arti

sanaux. « L’administration des mines à travers l’ANEEMAS s’est engagée dans un processus de réorganisation et de sécurisation des activités d’exploitation artisanale de l’or. Et pour réussir ce défi, l’adhésion des premiers acteurs que sont les artisans miniers est un impératif », fait-il remarquer. 

Enquête réalisée par Joseph HARO avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

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