Home Société Non déclaration des bénéficiaires effectifs des sociétés : Des sociétés minières écopent de...

Non déclaration des bénéficiaires effectifs des sociétés : Des sociétés minières écopent de sanctions

0

Le Burkina Faso s’est engagé dans une série de réformes dont l’institution de l’obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs des personnes morales (PM) et des constructions juridiques (CJ), les sociétés minières faisant partie. Ces réformes ont conduit à non seulement à l’adoption de textes obligeant les PM et les CJ à la déclaration mais aussi la tenue de registres des bénéficiaires effectifs par celles-ci et l’administration. Mines Actu Burkina est allé à la rencontre de Eric OUEDRAOGO, Juge chargé de la surveillance du Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE). Avec lui, il a été question de l’effectivité de la mise en œuvre du registre, l’état des déclarations, l’existence de sanctions et les perspectives.

Eric OUEDRAOGO, Juge chargé de la surveillance du Registre des Bénéficiaires effectifs au Tribunal de Commerce de Ouagadougou

Mines Actu Burkina : Quelles sont les objectifs de la déclaration des bénéficiaires effectifs ?

Eric OUEDRAOGO : La déclaration des bénéficiaires effectifs concerne les constructions juridiques et les personnes morales. La personnalité morale est une fiction juridique qui consiste à donner une personnalité juridique, à un regroupement de personnes ou à une personne dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle, commerciale ou artisanale, indépendamment de la personnalité de chacun des membres du groupe, ou de la personne fondatrice. Au titre des personnes morales, on peut citer en exemple, les associations, les fondations, les sociétés commerciales, les sociétés civiles professionnelles, les sociétés coopératives, etc.

La construction juridique est une notion qui appréhende une opération à travers laquelle des fonds, des biens sont confiés par une personne (le constituant) à une autre personne (le fiduciaire), dans le but d’exercer une activité donnée ou d’en faire profiter à une tiers personne (le bénéficiaire), sans que cette opération ne donne naissance à une personne morale. C’est une opération dans laquelle il y a séparation de la propriété juridique et du bénéficiaire des biens. Le Burkina Faso n’a pas une règlementation propre qui organise les constructions juridiques même si l’expression ressort de la règlementation. Le seul dispositif juridique exhaustif est la Convention de la Haye relative à la loi applicable aux trusts de juillet 1985. Mais le Burkina Faso n’a pas ratifié cette convention.

Ainsi précisé que la déclaration concerne les personnes morales et les constructions juridiques, il faut savoir que la déclaration des bénéficiaires effectifs fait partie de l’agenda de plusieurs institutions qui se sont intéressées de manière particulière à la question comme le Groupe d’Action financière (GAFI), le Forum mondiale pour la transparence et l’échange de renseignement à des fins fiscales, l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE). L’objectif central poursuivit vient du GAFI et a été repris par le Forum mondial. Cet objectif est de rechercher la transparence des personnes morales et des constructions juridiques. La plupart des personnes morales sont des entités qui détiennent d’importants avoirs ou qui exercent d’importantes acticités commerciales. Il faut se poser la question à savoir, à qui profite cette activité ? Y-a-t-il une personne derrière qui contrôle la société, l’association (…) ? Qui exerce le véritable pouvoir de décision dans cette société ?

Au-delà de la transparence, c’est d’éviter que les personnes morales soient souvent utilisées à des fins illicites. Cet objectif de transparence va participer secondairement à ce que les personnes morales et les constructions juridiques ne soient pas utilisées à des fins de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, de prolifération d’armes à destruction massive, de corruption, de fraude fiscale. En d’autres termes, c’est éviter la participation des personnes morales et des constructions juridiques à des crimes financiers.

Quel est le dispositif juridique, règlementaire et institutionnel qui encadre sa mise en place ?

Au niveau international, ce sont les initiatives d’organismes internationaux déjà cités. Le Burkina Faso qui est membre du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), institution spécialisée de la CEDEAO, applique la norme du GAFI. Au-delà du GAFI, le forum mondial, avec sa norme Echange de Renseignement sur demande (ERD), s’est ouvert aux autres pays qui ne relèvent pas du groupe des 20. Le Burkina Faso a adhéré à cette norme qui contient des exigences en matière de bénéficiaires effectifs. L’ITIE l’a aussi intégré à travers l’exigence 2.5 de la norme 2019 qui traite de la déclaration des bénéficiaires effectifs.

Ces 3 organismes élaborent des normes, des exigences et des recommandations sur la question.

Au-delà de ces institutions internationales, au niveau sous-régional des dispositions qui encadrent le bénéficiaire effectif sont notamment la directive UEMOA relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans les Etats membres. Nous avons la Directive CEDEAO 2023 portant harmonisation des règles en matière de bénéficiaires effectifs des entités juridiques dans les Etats membres.  

Au regard de ces exigences internationales, au niveau national, un bon nombre de textes ont été pris notamment la Loi n°016-2016/AN du 3 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Aussi, au regard des exigences de la norme ERD du Forum mondiale, des dispositions fiscales ont été prises. C’est le cas de la Loi de finance 2022 qui à travers son article 14 modifie l’article 96 du Code général des impôts (CGI) pour instaurer la tenue d’un registre des bénéficiaires effectifs au sein de chaque société. Le registre doit être renseigner. On a aussi la loi de finances 2023 en ses articles 24 et 25 qui modifie l’article 96 du CGI. Cette loi est plus exhaustive parce qu’au-delà des sociétés, elle ouvre l’obligation pour qu’elle touche toutes les personnes morales et les constructions juridiques au sens large, parce que les sociétés ne sont qu’une partie des personnes morales. Cette modification permet à l’administration fiscale de demander des informations à toutes les personnes morales et les constructions juridiques relativement à leurs bénéficiaires effectifs.

Du point de vue règlementaire, le Décret N°2021-0493/PRES/PM/MINEFID/MEMC/MJ/DHP/MICA du 07 juin 2021 portant obligation de déclaration de la propriété effective des entreprises extractives a été adopté. En 2022 il a été abrogé par le Décret N°2022-0234/PRES-TRANS/PM/MATDS/MJDHRI/MEFP portant obligation de déclaration et de tenue des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques. Enfin on peut être citer, l’arrêté interministériel du 6 mars 2022, portant modalité d’accès aux informations dans le registre des bénéficiaires effectifs.

D’un point de vue institutionnel, c’est le décret 2022 qui a mis en place les institutions compétentes pour recevoir et contrôler les informations sur les bénéficiaires effectifs.

L’article 4 précise qu’il est institué auprès des Tribunaux de commerce ou des Tribunaux de grande instance faisant office de tribunaux de commerce, un registre local des propriétaires effectifs des personnes morales à but lucratif et des constructions juridiques, tenu par le Greffe de ladite juridiction et placé sous la surveillance du juge chargé du registre de commerce et du crédit mobilier, et cela est conforme aux obligations des normes internationales. Il s’agit d’un registre qui permet de collecter des informations exactes et sincères sur les bénéficiaires effectifs. Ces informations doivent faire l’objet de vérification et doivent être accessibles au public sous les conditions que les textes prévoient.

Le même article 4 institue aussi un registre local auprès de la Direction en charge des libertés publiques, pour les associations et les fondations.

L’article 06 institue un registre central au Tribunal de Commerce de Ouagadougou, qui centralise les informations des autres locaux registres de Tribunaux et la Direction en charge des libertés.

Fondamentalement, on a des registres locaux dans chaque Tribunal de commerce ou Tribunal de grande instance faisant office de Tribunaux de commerce pour les localités ne disposant pas de Tribunaux de commerce, et à la Direction en charge des libertés dont les informations doivent remonter au registre central du Tribunal de commerce de Ouagadougou.

Les greffiers sont chargés de la tenue du registre et le juge surveille pour s’assurer que les déclarations sont reçues et sont exactes, sincères et à jour.

Pouvez-vous nous décrire le processus qui a conduit à sa mise en place ?

L’ITIE-Burkina Faso a porté pour la première fois, le projet d’élaboration du décret sur la propriété effective dans les industries extractives. Le décret a été signé en 2021 mais il a manqué d’efficacité parce que le registre n’a pas été mis en place. Il a fallu attendre le décret 234 de 2022. La Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF), la Direction générale des impôts et l’ITIE ont tous œuvré pour que ce décret soit effectif. Ce décret a été opérationnalisé avec la nomination au Tribunal de commerce de Ouagadougou, d’un juge chargé de la surveillance du registre des bénéficiaires effectifs.

L’ITIE-Burkina a piloté un projet qui a permis d’obtenir des formulaires de déclaration et le Tribunal de commerce a décidé d’instituer son registre, en application du décret. C’est à travers la mise en place d’un registre au Tribunal de commerce de Ouagadougou que le juge a procédé par un communiqué en décembre 2022, invitant les personnes morales à se soumettre à la déclaration.

C’est à partir de là, que les sociétés ont commencé à déposer leur déclaration. Il a été constaté que des sociétés semblaient ignorer l’existence du registre.

Il a fallu que le juge fasse des injonctions. C’est ainsi que le juge s’est intéressé principalement au secteur extractif et a demandé au Greffe de lui faire un état des entreprises minières qui n’ont pas encore satisfait à leur obligation de déclaration. Suite à cela, la majorité a été obligée de venir déclarer.

Certaines sociétés ont déclaré et certains ont écopé de sanctions.

La dynamique actuelle est de continuer d’enjoindre les sociétés surtout celles oeuvrant dans les secteurs que l’évaluation nationale a identifié comme étant à risque et à haut risque, pour avoir de la transparence.

On n’oublie pas que la CENTIF a fait des efforts dans la sensibilisation. Elle a permis au juge et au greffe du Tribunal de commerce de Ouagadougou de discuter avec les juridictions et greffes des autres ressorts pour les sensibiliser sur l’existence d’un registre des bénéficiaires effectifs. Plusieurs juridictions ont déjà mis en place des registres sur le modèle du Tribunal de commerce de Ouagadougou.

Quel est l’état des déclarations à ce jour ?

Après le communiqué de décembre 2022, matériellement ce n’est qu’en 2023 que les déclarations ont commencé. En 2023, nous avons enregistré 61 déclarations et 17 déclarations en fin mai 2024. Mais nous avons des déclarations qui n’ont pas encore été admises.

Il s’agit d’une déclaration unique qui peut connaitre des modifications suivant l’évolution de la ou des personnes désignées bénéficiaires effectifs. Il appartient au juge chargé de la surveillance, de vérifier par moment si l’identité des bénéficiaires effectifs n’a pas changé, et procéder à des injonctions pour inviter les sociétés concernées à faire la déclaration modificative.

En même temps, comme le RCCM est à sa disposition, les changements des bénéficiaires entrainent un changement de statut. S’il y a une modification au RCCM qui implique le changement de pouvoir de décision, les sociétés concernées devront procéder aux déclarations modificatives sur le registre des bénéficiaires effectifs.

Est-ce que toutes les sociétés minières ont déclarés ?

Des sociétés minières ont été enjointes et certaines ont déjà déclaré leurs bénéficiaires effectifs. Certaines qui n’ont pas encore déclaré leurs bénéficiaires effectifs ont été sanctionnées comme le prévoit le décret. Le régime de sanction basée sur la faute est prévu par le décret.

Quels sont les manquements rencontrés ?

Les manquements rencontrés sont les déclarations hors délai. Le texte prévoit que la société dispose d’un mois suivant l’immatriculation pour le faire ou pour apporter une modification ou complément d’information. Un autre manquement est la dissimulation des informations pour empêcher d’identifier les bénéficiaires effectifs. La non-tenue d’un registre en leur sein, suivant le même modèle que le Tribunal de commerce est aussi un manquement. Ce registre interne est paraphé par le Tribunal de commerce. Les fausses déclarations peuvent faire l’objet de sanction. Les sanctions sont d’ordre administrative allant d’un à 3 millions FCFA à 10 millions FCFA. En cas de récidive, elle peut conduire à la suspension du dirigeant de la société au moins pendant 5 ans sur tout le territoire national. Les fausses déclarations donnent lieu à des sanctions pénales.

Mais le juge a le pouvoir de condamner en cas de refus de déclarer à des astreintes qui est un mécanisme contraignant et efficace. Des sociétés ont été enjointes de déclarer sous astreintes d’un million FCFA par jour de retard. Des sociétés ont été condamnée à payer des millions FCFA d’astreintes, ce qui les a obligés à satisfaire à l’obligation de déclaration.

Mais il faudrait accéder au registre des bénéficiaires effectifs pour les détails. L’accès du registre est gratuit, libre sur demande motivée.

Quelle sont les perspectives ?

Il faut continuer la sensibilisation sur l’obligation et les procédures avec une bonne communication.

Des sociétés disent ne pas être au courant de l’obligation de déclaration. Nous avons été étonnés lors d’une séance organisée par la Maison de l’entreprise au profit de ses membres, à laquelle on a été invité à faire une communication, d’entendre que certains ignoraient la déclaration.

Il faut trouver les canevas pour échanger avec les regroupements professionnels, comme l’association professionnelle des banques et des sociétés d’assurances, les ordres professionnels tels que le barreau, la chambre des huissiers, l’ordre des notaires, le patronat etc.

Il faut également parachever le processus de mise en place du registre électronique. Le dispositif prévoit un registre manuel et électronique par la télédéclaration qui permet une interconnexion avec d’autres bases de données et des systèmes de mise à jour et d’envoi d’alerte pour faciliter la vérification. Le Secrétariat permanent de l’ITIE est à pied d’œuvre pour la mise en place du registre électronique du registre pour tendre à la télé déclaration.

Interview réalisée par Elie KABORE

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here