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Fraude de l’or : 9,620 milliards FCFA recouvrés au profit du Trésor public en 2023, selon le Docteur Aboubacar Sawadogo, Directeur général de la BNAF

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Dr Aboubacar Sawadogo, DG de la BNAF est Juriste - Administrateur des services financiers et titulaire d’un doctorat en Sciences politiques. Il capitalise plus d’une dizaine d’années d’expérience professionnelle dans la formulation et le suivi-évaluation des politiques nationales (notamment la SCADD et le PNDES) et sectorielles. Il est par ailleurs auteur d’un ouvrage sur les politiques publiques Burkinabè paru en 2021.

La Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) a été créée pour lutter contre le fléau de la fraude en matière de commercialisation de l’or. Quelles sont les activités de la BNAF, ses acquis, sa contribution à la lutte contre la fraude de l’or ? Docteur Aboubacar Sawadogo, Directeur général de la BNAF répond à ces questions posées par Mines Actu Burkina.

Mines Actu Burkina: Qu’est-ce qui a motivé la création de la BNAF ?

La volonté des premières autorités du pays à lutter contre le fléau de la fraude en matière de commercialisation de l’or, maîtriser le circuit de production et de commercialisation de l’or et capter les retombées de l’exploitation minière aux fins de conduire des actions de développement du pays s’est matérialisée par l’adoption de la loi n° 042-2004/AN du 16 novembre 2004 portant répression de la fraude en matière de commercialisation de l’or au Burkina Faso.

L’article 13 de cette loi a servi de fondement à la prise du décret 2006-629/PRES/PM/MCE/MFB/MCPEA/MSECU du 20 décembre 2006 portant réglementation de la commercialisation de l’or produit artisanalement au Burkina Faso.

Ce fut le premier texte qui instituait la BNAF. Il en faisait « un service d’appui du ministère chargé des mines » (article 12) dont la mission principale était, et est encore toujours, la recherche, la constatation et la poursuite des infractions à la réglementation relative à la commercialisation de l’or. En tant que “service d’appui du ministère chargé des mines”, la BNAF a été rattachée au cabinet du Ministre chargé des mines (article 14).

Elle est alors composée, en plus du Directeur Général, de 10 membres nommés pour un mandat unique de trois ans. Ses membres, ayant la qualité d’Officier de police Judiciaire, sont issus des ministères en charge, (i) des mines, (ii) des finances, (iii) du commerce et (iv) de la sécurité. Ils prêtent serment avant leur entrée en fonction.

La loi n°042-2004/AN du 16 novembre 2004 a été relue en 2011 avec l’adoption de la loi n° 027-2011/AN du 15 novembre 2011 portant répression de la fraude en matière de commercialisation de l’or.

Avec cette loi un changement majeur intervient dans la trajectoire institutionnelle de la BNAF. Elle est désormais créée par la loi (article 11). Elle n’est plus un “service d’appui du ministère chargé des mines” mais dorénavant “la structure de référence qui coordonne les activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or” (article 12) placée sous l’autorité du ministre chargé des mines (article 11).

En 2017, il a été adopté la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017 portant organisation de la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses au Burkina. Cette loi precise l’envergure nationale de la BNAF et élargit ses compétences à la lutte contre la fraude des autres substances précieuses. En effet, il y est précisé que « [La Brigade nationale anti-fraude de l’or] est la structure de référence au plan national, qui coordonne les activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses » (article 39 alinéa 2).

Le fait marquant avec l’adoption de la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017 est la coexistence de cette loi avec le Code minier adopté en 2015 (Cf., loi n°036-2015/CNT du 26 juin 2015 portant code minier du Burkina Faso). Ce faisant, en vertu de la maxime juridique « speciala generalibus derogant » c’est à dire que la loi spéciale déroge à la loi générale, ce sont les dispositions de la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017 (loi spéciale) qui régissaient, de façon dérogatoire au Code minier (loi générale), la commercialisation de l’or.

Pris en application des dispositions de l’article 38 de la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017, le décret n°2018-0967 /PRES/PM/MMC/MSECU/MDNAC/MJDHPC/MINEFID/MCIA/MEEVCC du 24 octobre 2018 portant organisation, attributions, composition et fonctionnement de la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) augmente: (i) le nombre de membres de la BNAF; (ii) le nombre de ministères qui y sont représentés et (iii) la durée du mandat des membres. En effet, l’article 12 du décret précise que “Outre le directeur général, la BNAF est animée par douze (12) membres” ayant la qualité d’officiers de police judiciaire. Ils sont issus des ministères chargés: (i) des mines; (ii) des finances; (iii) du commerce; (iv) de l’environnement; (v) de la sécurité et de la défense. Ils prêtent serment avant leur entrée en fonction. Ils ont un mandat de trois ans, renouvelable une fois (article 11).

L’adoption de la loi n°016-2024/ALT du 18 Juillet 2024 portant code minier est venu mettre fin à la coexistence précédemment évoquée entre le Code minier en tant que loi générale et la règlementation de la commercialisation de l’or régit par une loi spéciale. En effet, la loi n°016-2024/ALT du 18 Juillet 2024 portant code minier a incorporé les dispositions relatives à la commercialisation de l’or et, subséquemment, celles ayant trait à “l’organe de coordination des activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or”, c’est à dire la BNAF.

S’agissant particulièrement de la BNAF, le nouveau Code minier procède à la fois à une réforme de forme et de fond. Dans la forme, des considérations de légistique formelle ont conduit à préférer la référence à de “l’organe de coordination des activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances minérales” (article 286) en lieu et place de la dénomination “Brigade nationale anti-fraude de l’or”, cette précision ayant été renvoyée à un des décret d’application du Code minier. L’organe reste placé sous la tutelle du Ministre chargé des mines, avec une constance en ce qui concerne sa mission première. Dans le fond, le Code minier procède à un élargissement des compétences de “l’organe de coordination des activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or” (la BNAF) aux autres substances minérales comprises au sens du Code comme “l’ensemble des substances naturelles amorphes ou cristallines, solides, liquides ou gazeuses ainsi que les substances organiques fossilisées et les gîtes géothermiques”. (article 3).

Conformément aux dispositions du Code minier, la BNAF (l’organe de coordination des activités de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances minérales) a pour mission la recherche, la constatation et la répression des infractions relatives à la commercialisation de l’or et des autres substances minérales (article 287 alinéa 3).

Quelles sont ses principales activités ?

Les principales activités de la BNAF se résument à la lutte contre la fraude dans la commercialisation des produits miniers industriels et artisanaux. Dans cette optique, elle mène, entre autres, des actions: (i) de contrôle de la conformité au cahier de charges des mines industrielles, des exploitations minières semi-mécanisées, des comptoirs d’achat et de vente d’or; (ii) de démantèlement des bureaux illégaux d’achats et de vente d’or; (iii) du suivi des contentieux juridictionnels des dossiers de fraude à la commercialisation de l’or portés devant les juridictions par la BNAF; (iv) d’organisation de séances de travail et d’appropriation de la règlementation de la commercialisation de l’or avec les acteurs impliqués dans la lutte contre la fraude à la commercialisation de l’or et des autres substances minérales et des acteurs de la chaîne de commercialisation de l’or etc.

Par ailleurs, en tant qu’Autorité de supervision et de contrôle (ASC) en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) dans le secteur minier, la BNAF veille au respect par les acteurs de la chaîne de commercialisation de l’or de leurs obligations en matière de LBC/FT telles que définies par la loi n°016-2016/AN du 03 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. A cet effet, elle réalise des contrôles en matière de LBC/FT auprès des comptoirs d’achat, de vente, des titulaires de permis d’exploitation semi-mécanisée d’or et des sociétés d’exploitation industrielle de l’or.

Justement, une partie de la production artisanale de l’or fait l’objet de fraude à la commercialisation : Avez-vous une idée sur l’ampleur de la fraude ?

Docteur Aboubacar Sawadogo: Une idée de l’ampleur de la fraude relative à la commercialisation de l’or de production artisanale a été mise en exergue dans le rapport 2021-2022 sur l’état de la fraude à la commercialisation de l’or. Dans ce rapport la BNAF a souligné le fait qu’une grande quantité de l’or burkinabè fait l’objet de fraude chaque année et que cette fraude entretient d’importants flux financiers illicites.

S’agissant particulièrement de la fraude de l’or de production artisanale, elle est faite à destination de pays voisins : Togo, Mali, Ghana, Côte d’Ivoire, Niger et Bénin. Suivant les sources, les données disponibles indiquent le fait qu’entre 9 et 30 tonnes d’or de production artisanale sortiraient illégalement du territoire national chaque année. D’où, un préjudice financier de centaines de milliards de francs CFA subit par l’Etat.

Quelle est la destination de cet or fraudé ?

Il n’y a pas un circuit mais des circuits de fraude avec des acteurs aux modes opératoires et aux destinations diversifiés.

Concernant les acteurs, à la lumière des dossiers instruits par la BNAF, la fraude à la commercialisation de l’or est constatée chez tous les acteurs de la chaîne de commercialisation : artisans miniers, promoteurs de comptoirs d’achat et de vente d’or, titulaire de permis d’exploitation semi-mécanisée et sociétés minières industrielles.

A ceux-là, s’ajoutent des commerçants qui utilisent l’or comme un instrument monétaire permettant d’obtenir des devises dans le cadre de leurs activités commerciales à l’international.

Sur la destination de l’or objet de fraude, les données disponibles au niveau de la BNAF mettent en lumière le fait que la fraude en matière de commercialisation de l’or se fait à destination notamment de pays africains : Togo, Mali, Ghana, Côte d’Ivoire, Niger, Bénin, Rwanda, Ouganda. Des pays européens figurent sur la liste dont Suisse, Royaume-Uni, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal Allemagne, Espagne. Les pays asiatiques : Inde, Japon et arabes : , Emirats Arabes Unis, Koweït, Arabie Saoudite.

Quel est leur mode opératoire ?

Le modus operandi des fraudeurs est diversifié. Il comprend notamment la non-tenue à jour des registres règlementaires, l’utilisation de matériels de pesée non conformes, la minoration des quantités d’or à exporter ou exportés, la non-déclaration au Burkina Faso des pays de destination de l’or et la non-déclaration de l’or exporté dans les pays de destination.

Comment la BNAF compte-t-elle lutter efficacement contre cette fraude de l’or ?

En tant qu’organe de coordination des activités de lutte contre la fraude de l’or, les premières actions de la BNAF visent à renforcer la synergie avec les autres acteurs de lutte contre la fraude, constitués entre autres des personnels de la douane, la police nationale, la gendarmerie, des Eaux et forêts, de la CENTIF et de l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) pour la défense des intérêts de l’Etat devant les juridictions. Cette synergie d’action correspond à l’esprit et à la lettre des dispositions qui régissent son fonctionnement.

Au-delà de ces professionnels de la lutte contre la fraude, la BNAF entend impliquer les populations dans cette lutte contre la fraude de l’or. Dans cette perspective, elle a développé, avec le soutien des premiers responsables du ministère en charge des mines, une application de participation citoyenne dénommée « Alertebnaf » dont le lancement est en cours de préparation. Alertebnaf a été développé en deux variantes : web et application mobile pour permettre aux citoyens où qu’ils soient de l’alerter sur des situations de fraude en matière de commercialisation de l’or.

Toujours dans l’optique de lutter efficacement contre la fraude de l’or, la BNAF a conduit le processus d’élaboration et d’adoption de la Stratégie nationale de lutte contre la fraude de l’or et des autres substances précieuses, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans le secteur des mines (SNLFO-BC/FT) pour la période 2024-2028. Elle a été adoptée par l’Arrêté conjoint n°2024-252/MEMC/MEFP du 2 juin 2024 portant adoption de la SNLFO-BC/FT 2024-2028 et assortie d’un plan d’actions 2024-2026.

La SNLFO-BC/FT se veut le cadre de référence en matière de coordination de la lutte contre la fraude de l’or et des autres substances précieuses. Elle vise à réduire significativement la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses pour des impacts escomptés liés à l’accroissement des ressources générées au profit du Trésor public et à une minimisation des risques de blanchiment de capitaux dans le secteur des mines.

Depuis sa mise en place, quels sont les acquis de la BNAF ?

La BNAF comptabilise de nombreux acquis se rapportant à l’empêchement de plusieurs cas d’escroquerie qui visaient à faire passer pour de l’or des substances minérales qui n’étaient pas de l’or à l’occasion des transactions commerciales, la saisie de plus de 200 kg d’or réinjecté dans le circuit légal de la commercialisation, le recouvrement au profit du Trésor du public de plus de 11 milliards de francs CFA au titre des amendes, l’accompagnement de plusieurs artisans miniers non déclarés dans la régularisation de leurs situations.

Quels sont les points saillants du dernier rapport de la BNAF couvrant l’année 2023 ?

Le rapport 2023 sur l’état de la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses met en lumière le fait que les techniques de fraude les plus usitées par les fraudeurs en 2023 sont entre autres, les fausses déclarations, la contrebande et le blanchiment d’argent.

Au cours de cette année 2023, la BNAF a enregistré 39 affaires de fraude à la commercialisation de l’or, en hausse par rapport à 2022 (28 affaires), 2021 (34 affaires) et 2020 (35 affaires).

La cartographie des activités frauduleuses enregistrées en 2023 par la BNAF révèle que 43% des infractions de fraude à la commercialisation de l’or sont liées à l’achat et à la vente de l’or sans agrément, carte d’artisan minier ou d’acheteur valide ; 27% à l’utilisation de matériel de pesée non conforme ou non certifié par les services de la qualité et de la métrologie ou tout autre structure administrative habilitée ; 9% à la non-tenue à jour des registres règlementaires de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses ; 9% à l’absence de registres règlementaires de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses ; 9% à la possession, la détention et le transport de l’or sans agrément, carte d’artisan minier ou d’acheteur valide et 3% à l’exploitation artisanale de l’or sans autorisation.

Quant aux zones géographiques du pays à forte activités de fraude à la commercialisation de l’or, elles sont par ordre d’importance décroissant les régions : du Centre ; du Centre-Ouest ; de la Boucle du Mouhoun ; du Sud-Ouest ; du Centre-Est ; du Centre-Nord ; de l’Est et des Hauts-Bassins.

L’activité de la BNAF sur l’ensemble du territoire national au cours de cette année 2023 a permis la saisie de 172,78512 Kg de faux lingots d’or utilisés dans les actes d’escroquerie portant sur des transactions illégales d’or. Elle a saisi 10,07563 kg d’or réinjectée dans le circuit légal et le recouvrement de plus de 9,620 milliards FCFA au profit du Trésor public.

Interview réalisée par Elie KABORE

#Mines_Actu_Burkina

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