Entre 2017 et le premier semestre 2024, les collectivités locales du Sénégal ont enregistré un manque à gagner de 32,726 milliards FCFA au titre du Fonds d’appui au développement local institué par le Code minier de 2016. La raison est connue. Le non recouvrement des ressources de ce fonds à cause d’un retard dans la prise de certains actes en application de cette disposition du Code minier. Une forme d’évasion fiscale qui alimente les flux financiers illicites dans le secteur minier sénégalais.
Au Sénégal, l’article 115 du Code minier de 2016 a créé le Fonds d’appui au développement local (FADL). Ce fonds est alimenté par les titulaires de titres miniers, de contrat de partage de production ou de contrat de services.
En effet, selon le Code minier, les titulaires de titres miniers, de contrat de partage de production ou de contrat de services en phase d’exploitation alimente ce fonds annuellement par 0,5% de leur chiffre d’affaires hors taxe. Pour les titulaires de titres miniers, de contrat de partage de production ou de contrat de services en phase de recherche et en phase de développement, le montant annuel de ces engagements financiers est négocié et précisé dans les conventions et protocoles, toujours selon le code minier.
Destiné au développement économique et social des collectivités locales
Les bénéficiaires du fonds sont connus au Sénégal. Il est destiné aux collectivités locales situées dans les zones d’intervention des sociétés minières et sert au financement du développement économique et social de ces collectivités. « Les actions à réaliser doivent être définies dans un plan de développement local en cohérence avec tout plan national de développement local existant et en concertation avec les populations et les autorités administratives et locales », précise le Code minier sénégalais. Ce plan de développement local intègre les projets d’autonomisation de la Femme.
Toujours selon le Code minier, les modalités d’alimentation et d’utilisation des ressources du Fonds sont précisées dans les conventions et protocoles conclus entre l’Etat et les titulaires de titres miniers. C’est au niveau de la signature des conventions que le gouvernement sénégalais a trainé les pieds.
Conséquence ! Ce fonds n’a pas encore connu un début d’opérationnalisation depuis l’adoption de la loi en 2016.
Sur la base d’une simulation qui exploite les données des rapports de l’Initiative pour la transparence dans les Industries extractives (ITIE) du Sénégal, le manque à gagner suite à cette non opérationnalisation est de 32,726 milliards FCFA entre la période 2017 et le premier semestre 2024. Mines Actu Burkina a obtenu ce chiffre sur la base des données ITIE. Le chiffre d’affaires a été obtenu à partir des recettes d’exportations des produits miniers. Entre 2017 et le premier semestre 2024, le chiffre d’affaires du secteur a été évalué à 6 545 264 564 780 FCFA.
Le manque à gagner de 32 726 322 824 FCFA a été déduit sur la base des 0,5% de ce chiffre d’affaires.
L’action du Réseau Citoyens actifs pour la justice sociale (CAJUST)
Face à la situation, en 2022, le Réseau Citoyens actifs pour la justice sociale (CAJUST), une organisation de la société civile a lancé une campagne de plaidoyer dénommée “ARTICLE 25” en référence à l’Article 25.1 de la Constitution qui dispose : “Les ressources naturelles appartiennent au Peuple”.
Une de ses requêtes dans le cadre de cette campagne a porté sur l’effectivité de l’alimentation du Fonds d’appui au développement local.
Presque quatre années après le début de cette campagne de plaidoyer, le CAJUST constate 02 avancées majeures. Le gouvernement a signé des avenants avec les compagnies minières, afin de rendre effectif le versement du Fonds. Le gouvernement a aussi créé un Comité national de suivi et d’évaluation des ressources du fonds. Le lancement officiel des activités du Comité national de suivi et d’évaluation des ressources du fonds est même intervenu le 20 février 2025 au cours d’une cérémonie solennelle.
Une avancée à mettre à l’actif du gouvernement du premier ministre Ousmane Sonko.
Le ministre de l’Energie, du Pétrole et des Mines du Sénégal, Birame Soulèye DIOP a indiqué au cours d’un panel qu’il a animé le 4 novembre 2025 au cours de la SIM Sénégal 2025, que l’opérationnalisation du FADL est une des priorités de son gouvernement. Il a indiqué que l’Etat sénégalais a besoin d’avancer sur ce dossier pour encadrer la promotion du développement local et l’entreprenariat des jeunes.
Malgré cette victoire, le CAJUST n’entend pas baisser les bras. Le réseau s’engage à accompagner le processus de mise en œuvre de ce Fonds qui contribuera à instaurer une gouvernance équitable des ressources naturelles au profit des populations.
Une internalisation des textes internationaux
La création de ce fonds tire son fondement de plusieurs textes internationaux dont la Vision du Régime Minier de l’Afrique adoptée en février 2009 par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union africaine. La vision « encourage le partage des bénéfices avec les communautés locales par le biais de comptes de régularisation des revenus, ainsi que le partage des avantages non financiers notamment par l’emploi local et la fourniture d’infrastructures sociales ». En plus de la Vision minière africaine, l’article 16, aliéna 7, de la directive de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 17 mai 2009 sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier stipule que : « Les États membres créent un Fonds de développement socioéconomique auquel les titulaires de droit et titres miniers et autres parties prenantes ont l’obligation de contribuer pour le développement des activités de conversion de l’après mine dans les communautés locales affectées ».
Sur la base de ces textes internationaux, plusieurs Etats africains qui ont créé des fonds de développement local avec des appellations et des sources d’approvisionnement diverses. Si le Sénégal a créé le Fonds d’appui au développement local alimenté par 0,5% du chiffres d’affaires, la Guinée a créé le Fonds national de développement local alimenté par 0,5% du chiffres d’affaires. Le Burkina et la Côte d’Ivoire l’ont dénommé le Fonds minier de Développement Local. Si le fonds de la Côte d’Ivoire est alimenté par 0,5% du chiffre d’affaires des entreprises exploitantes, le Burkina a fixé la contribution des entreprises à 1% du chiffre d’affaires en plus de 20% des redevances proportionnelles collectées par l’Etat.
Pendant que ces ressources restent non collectées, le Sénégal a été obligé de s’endetter pour financer son développement.
L’endettement public du Sénégal a été évalué à 119% du PIB après la découverte d’une « dette cachée ».
La lutte contre les flux financiers illicites par les autorités sénégalaises constituerait une source de collecte des ressources internes pour limiter l’endettement et réduire les déficits budgétaires.
Elie KABORE








