Après plusieurs renvois, le dossier de l’affaire charbon fin a été retenu pour être jugé le mardi 3 octobre 2023 au niveau du Tribunal de Grande Instance de Ouaga I. Après 3 mois, le procès a marqué une pause le 22 décembre 2023 pour reprendre à partir du 28 décembre 2023. Entre les comparutions des accusés, les précisions des experts et ceux de représentants l’administration et les joutes verbales des avocats, que doit-on vraiment retenir de ce procès ?
Au début du procès, les avocats de la défense ont contesté la composition du parquet parce qu’un des 2 procureurs a été nommé à de nouvelle fonction et l’autre affecté. « Il y a des gens qui n’ont pas la qualité d’être ici” a déclaré un avocat d’Essakane SA.
Le président du tribunal a pris acte de l’exception soulevée pour la joindre au fond. Il a ordonné l’ouverture des débats.
Les débats vont s’attarder une fois de plus après cette exemption. En plus du charbon fin qui est le centre du dossier, d’autres matériaux de plus de 100 kg de nature atypique ont été isolés dans 2 cantines pour analyse.
Les avocats de la défense d’Essakane ont estimé qu’à cette étape, les analyses ne permettent pas de qualifier ces matières d’or. Pour les experts judiciaires, les éléments contenus dans les 2 cantines de ont été qualifiés de « corps solides ». Mais le procureur, les avocats de l’État et ceux du Réseau national de Lutte-Anti-Corruption (REN-LAC) qui est partie civile dans le dossier, affirment avec certitude et insistance qu’il s’agit de l’or, et précisément des lingots d’or.
Les deux cantines ont été présentés au tribunal le lendemain. En réponse à une question du procureur, les experts ont estimé qu’en termes techniques et matériels dans le traitement du charbon fin, ces éléments ne devraient pas de retrouver dans les cantines.
Mais les avocats de la mine ont contre-attaqué. «Est-ce que toutes les mines ont le même processus de traitement du charbon fin ? ». Non! Répondent les experts. «Est-ce que dans le processus de traitement du charbon fin à Essakane, on peut se retrouver avec ces éléments?» Oui! Répondent les experts qui précisent qu’Essakane a utilisé des éléments de traitement du charbon fin (des tamis) qui ne sont pas conformes aux normes standards d’où le fait qu’on retrouve ces ‘‘corps solides’’ dans les conteneurs.
Le contenu des 2 cantines ont été analysés pendant une suspension de quelques jours.
Y’a-t-il fraude à la commercialisation de l’or de la part d’Essakane ?
A la reprise de l’audience le lundi 6 novembre 2023, les débats ont pris une autre tournure, celle de savoir s’il y a eu fraude à la commercialisation de l’or par la société minière Essakane. Appelé à la barre, le Directeur général d’Essakane Tidiane Barry a déclaré qu’il ne reconnait pas les fait concernant le chef d’accusation fraude à la commercialisation de l’or.
Cependant, les experts ont révélé de nombreuses anomalies dans les cargaisons contenant le charbon d’Essakane. Pour eux, le charbon fin d’Essakane n’est pas conforme à celui des autres mines.En effet, ils ont fait remarquer que la teneur d’or retrouvée dans le charbon fin d’Essakane est anormalement élevée. Il est impossible d’obtenir une teneur de 806 grammes d’or par tonne (806g/t) alors que normalement le charbon fin d’Essakane devait être de 63g/t selon la méthode même qu’utilise Essakane.
Appelé à la barre, l’expert du procureur (un chimiste) a ajouté que «le charbon qualifié de »fin » par Essakane n’est pas du charbon fin, c’est du minerai». Selon l’expert du procureur, il y a une intention délibérée d’Essakane de manipuler le taux d’humidité pour minorer la quantité d’or contenu dans le charbon fin.
Mais les 2 experts judiciaires ont remis en cause la méthode utilisée par l’expert du procureur, la qualifiant de ‘‘non reconnue’’. Sur la question du taux d’humidité qui serait faussement déclarée par Essakane, les experts affirment aussi qu’il n’a aucun lien avec la teneur en or du charbon fin.
A la suite du procès le mercredi 8 novembre 2023, les 2 experts judiciaires ont indiqué que l’on ne devrait pas se retrouver le type de charbon fin observé à Essakane.
«Supposons que le système d’Essakane soit le plus défaillant possible, est-ce que l’on peut se retrouver avec des teneurs en or d’une telle ampleur dans le charbon fin ?», demande Me Prosper Farama, l’avocat du REN-LAC. «Non! On peut pas se retrouver avec une telle teneur » déclarent les experts.
L’avocat revient encore à la charge : «2 causes peuvent expliquer cette teneur : une cause accidentelle ou humaine. Selon vous, quelle est l’hypothèse la plus probable ?». « C’est celle humaine», répondent les experts.
«Dans l’hypothèse humaine, il y a aussi deux cas : soit c’est intentionnel ou non intentionnel. Selon vous quelle est l’hypothèse la plus probable ? », réplique Me Farama. «C’est le facteur intentionnel», répondent les experts.
Mais la réaction des avocats d’Essakane ne s’est pas fait attendre. «Concernant les autres minerais retrouvés dans le charbon fin comme le Zinc et le manganèse, est-ce que pour les masses contenues dans le charbon fin on peut les commercialiser sur le plan international ?», demande-t-ils aux experts. «Sur le plan international ou sous régional, ces masses sont négligeables», répondent les experts.
Au cours du procès le jeudi 9 octobre 2023, les deux experts ont déclaré également que la teneur de pulpe retrouvée dans les cargaisons était de 67g/t après leur expertise alors que dans le cas d’Essakane cela devrait être de 0,1g/t.
Le juge a demandé alors aux experts ce qui pourrait expliquer cette forte teneur en or. Les experts expliquent que le problème peut venir au niveau de l’incinération de la pulpe ou au niveau des fuites de solution qui peuvent influencer la teneur en or. Mais un des experts précise que cette dernière hypothèse est à écarter car ces fuites ne peuvent pas influencer la teneur en or de la pulpe.
Par la suite, le procureur s’est intéressé à la balance utilisée par Essakane pour peser le charbon. Des débats, ont retient que cette balance que le DG d’Essakane a réconnu sa certification ne l’est pas en réalité. En effet, Essakane déclare avoir une certification datant de 2016 alors que les pesées ont eu lieu en 2018.
Fausse déclaration ?
Dans la suite du procès le mardi 28 novembre 2023, Il s’est agi de savoir si le société Essakane a fait une fausse déclaration de la quantité du charbon fin contenu dans sa cargaison.
À l’entame des débats, le procureur a fait comprendre qu’Essakane a déclaré 399 069 kg de charbon fin alors qu’après la saisie, il a été constaté qu’elle était en train d’exporter 629 000 kg de charbon fin.
Mais la représentante pays d’Essakane explique les chiffres déclarés par Essakane sont une estimation et non une exactitude, d’où l’écart constaté par le procureur qui estime que ces marges d’erreurs sont en réalité des marges de fraudes».
À ce stade des débats, le procureur a appellé à la barre un expert douanier.
Ce dernier explique que dans sa lettre de demande d’exportation, Essakane a déclaré la moitié de 447 288kg (soit 223 614 kg). Mais en 2015 elle a exporté 399 059 kg; en 2016, c’est 281 234 kg; et en 2018 c’est 494 635 kg qui était entrain d’être exporté, soit un total de 1 174 928 kg contre 447 288kg, donc l’excédent est de 697 640kg. Selon lui, il y a une fausse déclaration.
C’est ainsi que les avocats d’Essakane sont intervenus dans les débats pour faire comprendre « qu’Essakane ne s’est pas levée comme ça aller confier sa cargaison à Bolloré ? ». Elle a reçu une autorisation du ministère des mines, de la douane et du BUMIGEB. Les avocats de la défense ont aussi indiqué qu’au moment de l’exportation, c’est bien les 399 059 kg qui ont été autorisés par le ministère.
Mais l’expert douanier fait comprendre que l’autorisation spéciale d’exportation n’est pas faite par le ministère en charge des mines, mais le secrétariat du guichet unique de commerce. Il ajoute qu’Essakane savait bel et bien que la législation du Burkina Faso ne lui permet pas l’exportation du charbon fin. « Depuis l’histoire des mines du Burkina Faso, aucune mine n’a exporté le charbon fin, elles les stockent sur leurs sites», a-t-il laissé entendre. Il a par la suite projeté un document de presse. Dans ce reportage, le directeur de l’usine d’Essakane a justifié la construction d’un incinérateur de charbon fin par le fait que la législation nationale n’autorisait pas l’exportation du charbon fin. La présentation a eu lieu en marge de la SAMAO 2017, en présence du ministre des mines.
Essakane avait-elle le droit d’exporter du charbon fin ?
Il faut noter que l’expert douanier du procureur a été plus tard contredit (mardi 5 décembre 2023) sur la possibilité d’exporter par un représentant de l’administration douanière (directeur de la réglementation, de la facilitation et de la coopération douanière). Ce dernier a affirmé que la législation permet à Essakane bel et bien d’exporter du charbon fin. En revanche, il reconnait la fausse déclaration, mais la minimise en parlant d’une ‘‘simple contravention’’.
Concernant le document de presse, la Représentante pays d’Essakane a expliqué que leur directeur d’usine a déclaré que la législation burkinabè ne permettait pas l’exportation du charbon fin car à l’époque il y avait un vide juridique sur la question et qu’au moment où il parlait, ce vide avait été comblé.
«Jusqu’à l’heure actuelle, nous défions quiconque d’apporter la base légale qui permet au ministre en charges des mines d’autoriser l’exportation du charbon fin. Cette base légale n’existe pas», réplique l’avocat de l’Etat.
Le BUMIGEB donne sa version
Le Bureau des mines et de la géologie du Burkina Faso (BUMIGEB) a été appelé à donner sa version à la barre le vendredi 8 décembre 2023. Son représentant (un ingénieur chimiste) a déclaré que le taux d’humidité a un impact sur le calcul de la quantité d’or alors qu’Essakane.
C’est ainsi que le procureur a fait cette observation au président du tribunal : « On a tenté de semer la confusion dans votre esprit en disant chaque fois que le taux d’humidité n’a aucune importance alors que la réponse du BUMIGEB est d’une précision chirurgicale : le taux d’humidité est très important».
Le représentant du BUMIGEB a aussi affirmé que son institution n’a pas participé aux différentes étapes d’exportation du charbon fin d’Essakane alors que lors des audiences précédentes, la représentante pays d’Essakane et ses avocats ont affirmé à plusieurs reprises avoir associé l’administration du Burkina Faso dans tout leur processus d’exportation du charbon fin (Pesée, fourniture d’échantillon, mise en cargaison…). Il précise que les agents du BUMIGEB ont seulement participé à l’étape du colisage.
Concernant la version d’Essakane selon laquelle leurs échantillons ont aussi été envoyés au BUMIGEB pour analyse, le représentant du BUMIGEB confirme qu’Essakane leur a envoyé les échantillons mais explique que le BUMIGEB n’a pas participé au prélèvement des échantillons.
Deux agents de l’administration publique appelés à la barre
Le mardi 12 décembre 2023, le procès s’est poursuivi avec la comparution de deux agents de l’administration publique en tant qu’accusés. Ces derniers devaient prouver leur innocence sur la prévention de faux en écriture.
Ils ont laissé entendre qu’ils n’ont fait qu’exécuter les ordres de leurs supérieurs. Ils ajoutent aussi qu’ils ont bien accompli leur mission conforment à leur ordre de mission qui leur disait de participer à la pesée, au colisage du charbon à Essakane. Les deux agents ont aussi déclaré qu’ils n’ont pas participé aux opérations de mise en sac du charbon fin. Mais pour le procureur reproche à ces agents de ne pas chercher à savoir ce que contenaient les sacs même s’ils déclarent que leur mission ne consistait pas à savoir ce que contenait les sacs.
Les avocats des deux agents ont fait remarquer au tribunal que leurs clients ont signé les procès-verbaux (PV) des pesées au nom de l’administration qu’ils représentaient lors de leur mission et non en leur nom personnel. Les deux agents sont poursuivis pour faux en écriture concernant les PV de mise en sac alors que ces derniers n’ont pas participé à la mise en sac du charbon fin. Ils sont aussi poursuivis pour faux en écriture privée de commerce alors que le PV n’est pas un acte de commerce, argumentent leurs avocats.
Par ailleurs, leurs avocats ont fait observer au président du tribunal que leurs clients ont été entendus (auditionnés) sans leurs avocats et sans qu’on leur notifie leurs droits, ce qui viole le code de procédure pénale. Ils ont donc demandé la nullité des PV d’enquête. Ce qui a pour conséquence l’annulation de la procédure en cours contre les 2 agents. Pour ce cas, le président du tribunal a déclaré que le tribunal reçoit l’exception de nullité et joint l’exception au fond.
C’est après la comparution des deux agents de l’administration publique que le président du tribunal a suspendue l’audience à la demande des avocats de la défense pour motifs des préparatifs de la fête de Noël. Elle reprend le jeudi 28 décembre 2023.
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