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Burkina Faso : Entre 15 à 30 tonnes d’or des mines artisanales fraudées par an

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L’or en provenance des mines artisanales par an fait l’objet d’une fraude à grande échelle. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières a révélé, en 2016, qu’entre 15 à 30 tonnes d’or faisaient l’objet de fraude par an ; ce qui équivaut à la moitié de la production industrielle en 2020. Pendant ce temps, les services compétents n’arrivent pas à quantifier une tonne de cette production par an. Le préjudice financier que le Budget de l’Etat subit chaque année à cause de cette pratique est évalué à des centaines de milliards FCFA.

La fraude de l’or produit artisanalement est confirmée par la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF), une structure mise en place au sein du ministère des Mines, en vue de lutter contre la fraude. Dans son rapport 2021-2022 sur l’état de la fraude en matière de commercialisation de l’or et des autres substances précieuses, elle informe qu’une grande quantité de l’or burkinabè fait l’objet de fraude chaque année et entretient d’importants flux financiers illicites. La fraude de l’or s’est développée à grande échelle, à la suite de la suppression du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP), selon les rapports d’enquêtes et des études conduites par des structures publiques et des Organismes non gouvernementaux (ONG).

Quelles sont les quantités fraudées ?

Malgré cette certitude, il est difficile de définir de manière exacte, les quantités d’or produites artisanalement et fraudées. Toutefois, plusieurs sources annoncent des chiffres qui donnent une idée de l’ampleur de cette fraude.

Selon la BNAF, des enquêtes ont révélé que seulement trois dixième (3/10) de la production artisanale était captée par les acheteurs affiliés à un comptoir d’achat officiel.

C’est le cas de l’Enquête nationale sur le secteur de l’orpaillage (ENSO), réalisée en 2017 par l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), selon laquelle, la production artisanale annuelle totale d’or a été estimée à 9,5 tonnes d’or en 2016, générant 232,2 milliards FCFA. Toutefois, les acheteurs installés sur les sites ont acheté 66,3 milliards FCFA d’or, représentant une quantité de 2,7 tonnes d’or. Ce qui suppose qu’il y a un écart de 6,8 tonnes d’or correspondant à 165,9 milliards FCFA, sorties par la fraude. Cette quantité non captée par les acheteurs traduit l’existence de circuits parallèles d’achat et de revente de l’or artisanalement produit.

Selon l’étude d’évaluation des chaînes d’approvisionnement en or, les quantités d’or qui sortent illégalement du territoire national chaque année, se situeraient entre 20 et 25 tonnes d’or. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières révèle que 15 à 30 tonnes d’or font l’objet de fraude par an ; ce qui équivaut à la moitié de la production industrielle en 2020.

Enfin, selon une enquête du Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC), qui a utilisé les données de l’UNComTrade, entre 2014 et 2019, le Burkina Faso a déclaré avoir exporté 256,991 tonnes d’or vers la Suisse. Pendant ce temps, la Suisse a déclaré avoir reçu 296,684 tonnes d’or durant la période, soit une différence de 39 693 kg.

Il se dégage une perte de recettes pour le Budget de l’Etat évaluée à 325,155 milliards FCFA, dont 7,938 milliards FCFA représente les pertes sur la taxe à l’exportation, 265,585 milliards FCFA pour l’impôt sur le bénéfice, 42,936 milliards FCFA de perte sur les royalties et 8,694 milliards FCFA de perte au titre du Fonds minier de développement local, destiné aux collectivités territoriales.

La fraude dans ce secteur est bien connue par les autorités du Burkina Faso, à en croire cette demande d’informations envoyée par l’ONG SuisseAid aux autorités burkinabè. Pour cette ONG, le Burkina Faso a déclaré avoir exporté 11,27 tonnes d’or artisanale vers l’Inde, en 2018, pendant que l’Inde a déclaré avoir importé 19,53 tonnes la même année, soit un écart de 8,26 tonnes.

Toujours selon SuisseAid, en 2019, le Burkina Faso a déclaré avoir exporté vers la Suisse, 37,16 tonnes, alors que ce pays a reconnu avoir reçu 43,24 tonnes d’or la même année, en provenance du Burkina Faso. Il se dégage un écart de 5,08 tonnes d’or entre les deux déclarations.

Faible déclaration de la production artisanale auprès des autorités

La fraude expliquerait la faiblesse des quantités déclarées auprès du ministère des Mines. Même si les quantités d’or produites artisanalement ont connu une hausse entre 2019 et 2023, elles restent néanmoins très faibles. Si en 2019, seulement 259 kg d’or ont été déclarés, cette quantité est passée à 267 kg en 2020, 268,2 kg en  2021, puis à 484,11 kg en 2022, pour se situer à 491,30 kg en 2023, selon les données de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS), devenue Société nationale des substances précieuses (SONASP).  

En rappel, depuis 2019 où l’ANEEMAS a commencé ses activités d’achat et de vente d’or, elle n’a collecté au total que 149,967 kg d’or, réalisant en moyenne une collecte de 37,5 kg par an.

Cette faible quantité pourrait s’expliquer par la méfiance des acteurs vis-à-vis de l’Agence mais aussi par la fraude massive dans le secteur.

Les raisons de la fraude

Plusieurs raisons sont avancées pour justifier cette fraude à grande échelle, dont le montant élevé de la taxe à l’exportation. En effet, sur chaque kilogramme d’or exporté, une taxe de 250.000 FCFA est prélevée pour le compte du Budget national. Comparativement à un pays voisin comme le Togo, pays vers lequel l’or est frauduleusement acheminé, la taxe à l’exportation serait de 45.000 FCFA le kilogramme. C’est la première raison qui les pousse à sortir clandestinement l’or vers le Togo, faisant de ce pays un exportateur d’or, alors qu’il n’en produit pas.

Une réalité qui corrobore les résultats d’une enquête menée en 2014 par une ONG suisse, la Déclaration de Berne, pour qui 7 tonnes d’or burkinabè ont été frauduleusement expédiées au Togo, puis exportées vers la Suisse la même année, représentant près de 20% de la production industrielle d’or du pays. L’ONG estime que le Burkina Faso a perdu des recettes fiscales de près de 4 milliards  FCFA, rien que pour l’année 2014, suite à cette fraude. « Cela équivaut à 24,32% de toutes les aides cumulées de la Coopération suisse au Burkina Faso, en 2014 », indique la Déclaration de Berne.

Plusieurs sources confirment que l’or artisanal serait au cœur d’un système de blanchiment de capitaux. Plusieurs personnes ayant acquis de l’argent de manière illicite préfèrent acheter de l’or avec ces ressources.

L’or servirait également comme objet d’échange commercial. De nombreux commerçants achètent l’or au Burkina Faso et réussissent à l’exporter par la fraude. Cette pratique évite de rapatrier les ressources issues de la vente, comme le stipulent les textes en matière de commercialisation de l’or. L’argent issu de la vente de l’or sert à acheter des marchandises qui seront revendues au Burkina Faso.

Le rapport 2021 de l’ITIE justifie la fraude par le caractère informel des transactions. En effet : « Les transactions de vente et d’achat d’or sur la chaîne de l’exploitation artisanale demeurent pour la plupart informelles, dans le sens où elles ne donnent lieu à aucun contrat écrit, ni aucun accord d’achat-vente écrit ou autre processus traçable, ce qui donne une apparence volatile et insaisissable à la filière ».

Toujours pour l’ITIE, le contexte sécuritaire y est pour quelque chose. Il a modifié la configuration de l’exploitation artisanale. « Plusieurs attaques perpétrées sur les sites d’orpaillage dans les régions du Nord du pays, ainsi que la politique de la terre brûlée envisagée par les groupes terroristes ont fini par avoir raison de la présence des mineurs artisanaux sur les sites de cette partie du territoire. Un paradigme nouveau qui vient rendre encore plus complexe la recherche de solutions pour une traçabilité des flux  matières et financiers liés à cette activité d’exploitation et de commerce de l’or ».

Mais face à cette fraude, l’Etat burkinabè montre des signes de faiblesse dans le contrôle de ce secteur, malgré les mesures de lutte prises sur le plan politique, institutionnel et légal.

Les auteurs de la fraude et la destination

La BNAF désigne les auteurs de cette fraude. « De nombreux cas avérés ou de soupçons de fraude en matière de commercialisation de l’or impliquent, notamment, les comptoirs privés d’achat et de vente d’or et des titulaires d’autorisation d’exploitation artisanale et de permis d’exploitation semi-mécanisée ». Et de préciser qu’un certain nombre de comptoirs font l’objet d’une attention particulière des services de lutte contre la fraude et des services des Impôts et font l’objet, soit de redressements fiscaux, soit de poursuites judiciaires.

Les personnes coupables de cette fraude sont poursuivies selon les textes. Au titre des années 2021 et 2022, la BNAF a ouvert 62 dossiers de fraude à la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses ; 34 dossiers ont été clos, dont 20 par transaction, 2 par décision de Justice et 12 pour autres motifs. Ce sont 28 dossiers qui sont en instance, dont 24 à la BNAF et 4 à la Justice.

Mais où va l’or fraudé ? L’or fraudé prend plusieurs destinations. « Plusieurs enquêtes et études réalisées sur la chaîne de commercialisation de l’or du Burkina Faso indiquent que d’importantes quantités d’or font l’objet de fraude chaque année. Cet or qui provient en grande partie de l’exploitation artisanale a pour destination des pays voisins comme le Togo, le Mali, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Bénin. Le préjudice financier que le Budget de l’Etat subit chaque année est évalué à des centaines de milliards FCFA », selon la BNAF. Ces pays appliquent une fiscalité plus faible, ce seraient des pays de destination de l’or qui sort frauduleusement du Burkina Faso. L’or est par la suite revenu dans d’autres pays comme la Suisse, l’Inde, Dubaï, Les Émirats arabes Unis, etc.

La fraude dans ce secteur est bien connue par les autorités du Burkina Faso. Selon les données issues d’une demande d’informations envoyée par Suisse AID aux autorités burkinabè, le Burkina Faso a déclaré avoir exporté 11,27 tonnes d’or artisanale vers l’Inde, en 2018, pendant que ce pays a déclaré 19,53 tonnes la même année, soit un écart de 8,26 tonnes.

En 2019, le Burkina Faso a déclaré avoir exporté vers la Suisse, 37,16 tonnes, alors que ce pays a reconnu avoir reçu 43,24 tonnes d’or la même année. Il se dégage un écart de 5,08 tonnes d’or.

Elie KABORE

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