La plus grande partie de la production d’or artisanale et semi-mécanisée d’Afrique n’est pas déclarée à l’exportation. Quantifier ce phénomène de manière précise au niveau de chaque pays est un exercice compliqué : une bonne partie de l’or exporté en contrebande n’apparaît pas dans les statistiques d’importation des pays partenaires. La comparaison entre la production (déclarée et non déclarée), les exportations déclarées et les importations des pays partenaires permet toutefois de se faire une idée de l’ampleur de la contrebande d’or dans les pays africains. Plus de 12 pays africains sont impliqués dans la contrebande de plus de 20 tonnes d’or par année. La contrebande d’or la plus importante concerne le Mali, le Ghana et le Zimbabwe.
Burkina Faso : Une production de 30 tonnes d’or non déclarée
L’or exporté en contrebande des pays africains rejoint soit des pays limitrophes ou proches, soit des pays non africains. Ces informations ont été publiées en Mai 2024 par SWISSAID dans un rapport intitulé « Sur la piste de l’or africain : Quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites ».
SWISSAID a compilé, analysé et croisé les données de production et d’exportation des 54 pays africains et les données d’importation des pays partenaires sur une période de de dix ans. Ce travail a permis comprendre que plus de 435 tonnes d’or ont été exportées en contrebande du continent africain en 2022, ce qui représente plus d’une tonne par jour. L’écrasante majorité de cet or a été importée aux Émirats arabes unis avant d’être réexportée vers d’autres pays (la Suisse, l’Inde, la Turquie et Hong Kong). La contrebande d’or en Afrique a plus que doublé entre 2012 et 2022. Au cours de cette période, 2 569 tonnes d’or africain importé aux Émirats arabes unis n’ont pas été déclarées à l’exportation dans les pays africains. Pour la seule année 2022, 66,5% (405 tonnes) de l’or importé aux Émirats arabes unis en provenance d’Afrique a été exporté en contrebande des pays africains.
Selon le rapport, au Burkina Faso, 95 % de la production d’or l’extraction minière artisanale et à petite échelle échappe au contrôle de l’Etat. L’or artisanal et semi-mécanisé du Burkina Faso a notamment été exporté en contrebande vers le Mali et le Togo et, dans une moindre mesure, vers le Bénin et le Niger. L’ONG estime à 30 tonnes, production non déclarée du Burkina Faso par année ?
Facteurs explicatifs : prix d’achat de l’or, l’inefficacité des structures d’achat étatiques
Plusieurs facteurs expliquent cette contrebande dont le prix d’achat de l’or.Dans plusieurs pays, le prix d’achat de l’or sur le marché parallèle est plus élevé que le cours du métal précieux sur le marché international. Par conséquent, l’or circule avant tout dans des canaux clandestins. Par exemple, au Mali, plusieurs comptoirs proposent des prix d’achat supérieurs d’environ 200 FCFA par gramme de plus que le cours du métal jaune sur le marché international. « Cela s’explique notamment par le fait que l’or est utilisé comme monnaie d’échange dans l’achat de marchandises à Dubaï qui sont ensuite importées et revendues au Mali avec une importante marge bénéficiaire », selon le rapport.
Ce phénomène a également été observé au Burkina Faso et au Niger : un rapport de l’OCDE de 2018 indique que le prix d’achat élevé de l’or dans ces pays est compensé par « l’importation de produits, surtout électroniques, achetés à Dubaï et revendus sur place avec des marges d’environ 25 à 30 % ».
La non-attractivité et l’inefficacité des structures d’achat étatiques seraient une cause. De nombreux Etats africains ont développé un programme d’achat d’or et certains se sont même octroyé un monopole dans ce domaine. Dans plusieurs pays, le programme d’achat officiel a buté sur des obstacles majeurs. Les montants alloués à ces structures sont insuffisants pour acheter une part significative de l’or produit. Dans d’autres pays, le prix d’achat officiel proposés sont nettement inférieur au prix d’achat de l’or sur le marché parallèle.
La corruption et les lacunes dans le contrôle des circuits de commercialisation de l’or expliqueraient cette contrebande. Les collecteurs, les comptoirs ou bureaux d’achat et les raffineries ne sont souvent pas tenus de justifier l’origine de leur or. La corruption des agents des douanes ou de police dans le trafic de l’or a été large ment documentée, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger. La difficulté à contrôler les flux d’or illicites résulte également du fait que la majorité des transactions se font non pas via le système bancaire classique, mais sous forme de « blanchiments de capitaux basés sur le commerce » ou via des systèmes de transfert de fonds parallèles.
La porosité des frontières et lourdeur administrative des procédures d’exportation
Le coût et la lourdeur administrative des procédures d’exportation. Les différences entre les régimes fiscaux des pays exportateurs favorisent la contrebande d’or. Un pays ayant un régime fiscal plus attrayant que ceux de ses voisins attire nécessaire ment les flux d’or en provenance de ceux-ci. Des pays comme le Mali, la Guinée, le Togo et l’Ouganda sont devenus des destinations de l’or de contrebande et des « hubs » d’exportation grâce notamment à leurs régimes fiscaux attrayants. Au Burkina Faso, les frais d’exportation seraient si élevés qu’il serait impossible de réaliser un bénéfice en exportant l’or légalement. A cela s’ajoutent des procédures d’exportation souvent lourdes sur le plan administratif. Par exemple, en ce qui concerne les exportations d’or depuis la RDC, l’ONG IMPACT a recensé 26 étapes impliquant plusieurs agences gouvernementales.
La porosité des frontières : La proximité géographique entre des régions productrices et des hubs d’exportation peut jouer un rôle déterminant. C’est le cas, par exemple, de la région de Siguiri, en Guinée, située à la frontière avec le Mali et dont l’or est exporté en partie en contre bande par Bamako. La porosité des frontières entre des producteurs et des négociants d’or basés de part et d’autre d’une frontière peuvent également expliquer l’existence de flux d’or à travers cette frontière.
Elie KABORE